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Billy Howerdel, mars 2018


Samedi 3 mars 2018. Je traîne à Paris du côté d’Opéra ; je tourne en rond car je suis arrivé super en avance. C’est ce que j’ai rendez-vous dans un hôtel haut standing avec pas moins que Billy Howerdel, sans qui il n’y aurait pas eu A Perfect Circle, ce groupe que j’affectionne tant depuis la sortie de Mer de Noms il y a près de 18 ans.

Quand je me décide enfin à rentrer, je suis escorté par le gorille de service pour monter au bar situé à l’étage. Je m’installe à une table et j’attends mon tour, un peu nerveux. La seule fois où je me suis retrouvé aussi près de lui, c’était en tant que spectateur à la Maroquinerie fin juin 2000... Et soudain, ça y est, c’est à moi !


Salival : D'abord, félicitations pour le nouvel album qui est vraiment très bon.
Billy Howerdel :
Merci.

Le résultat est encore une fois différent de ce que vous aviez fait auparavant avec A Perfect Circle. C'est très surprenant musicalement, et je ne me souviens pas avoir entendu Maynard chanter comme ça.
Ouais, moi non plus.

Souhaitiez-vous dès le départ obtenir quelque chose dans ce style, ou alors c'est arrivé au fur et à mesure ?
Je pense que la grande différence avec ce disque est que par le passé, j'ai composé les chansons à la guitare et à la basse, alors pour celui-ci c’était plutôt au piano. Par conséquent, cela a modifié la façon dont les titres ont été écrits. C'était fait d’une autre façon, et tout s’est mis en place à partir de cela.

Après 14 ans, il y a une grosse attente. Comment ressens-tu cela ?
Je n’y ai pas trop pensé. Si tu y penses trop, cela peut détruire ton art. Nous nous sommes juste dit : "Ok, nous allons faire un album, et nous allons en faire un qui soit le meilleur possible aujourd'hui." On ne s’est pas demandé si c’était dans l’air du temps ou rétro, si ça collait à ce que l’on avait fait avant ou pas. Tu sais, je ne trouve pas que nous ayons mis complètement notre son de côté. Je pense que nous avons quelques orteils en arrière, et nous avons un pied au dehors pour aller de l’avant. Nous avons essayé d’évoluer. C'était notre directive.

Tu as produit toi-même les albums précédents. Pourquoi as-tu décidé cette fois de travailler avec Dave Sardy ?
Pour essayer de trouver une autre impulsion, pour avoir un avis extérieur, mais avant tout je ne voulais pas être autant dedans, avec la gestion des fichiers, l’organisation et tout le reste. Je voulais juste m'asseoir sur un canapé et jouer, tu vois, et voir ce qui en ressort sans tout ce qu’il y a autour. Du coup, ça enlève beaucoup de pression. J'ai trouvé que c'était plus facile par certains aspects et plus difficile pour d’autres. Je pense que ce n’est pas évident pour moi de communiquer verbalement mes idées, car j'ai l'habitude d'être simplement devant un ordinateur et de le faire moi-même. Donc s’il y a quelque chose qui n’est pas tout à fait comme il faut, mais que je sais ce que je dois faire pour l’améliorer, c’est le genre de choses un peu difficile à expliquer.

Et vous deviez parfois avoir tous les deux des opinions différentes sur les choix à faire ?
Oui, parfois j'étais intransigeant, et parfois j'allais dans le même sens. Si cela lui tenait à cœur de reprendre des choses, je lui disais : "Ok, laisse-moi voir si je peux faire avec." Il y a certaines choses qui passent, et d’autres non. Nous avons dû faire des choix.
Mais bien des fois, Dave était une extension des souhaits exprimés par Maynard du fait que celui-ci n'était pas dans la pièce. Je lui ai d’ailleurs dit dès le début : "Tu es là pour représenter les souhaits musicaux de Maynard." Dave était en effet plus à même d'exprimer cela musicalement que ce que lui-même aurait pu le faire avec des mots, donc...

Tu as dit que cela avait été malgré tout épuisant pour toi.
Ouais, la conception était épuisante en ce sens que les chansons existaient depuis longtemps. Et ce n’est qu’il y a un an de cela que je me suis assis afin de me décider sur lesquelles envoyer à Maynard. Les chansons étaient déjà écrites, mais là c'était plutôt : "Qu'est-ce que je vais choisir d'envoyer à Maynard pour que cela l’inspire au niveau du chant." Dave m’a aidé pour ça, ainsi que notre manager, et puis il a fallu mettre tout ça en forme et en place. C’est comme pour n'importe quoi d'autre ; tu commences d’abord par faire les fondations et tu construis dessus, puis ça devient de plus en plus large et c’est alors plus facile d'empiler les choses.
Je pense que "The Doomed" a été un grand tournant, car Maynard a chanté dessus et il y avait là quelque chose à creuser. Il a écrit les paroles très rapidement, et cela m'a donné l'énergie de continuer à travailler sur tout le reste.

         

Etait-ce la première chanson ?
Non, c'était l'une des dernières.

[Il demande au manager du groupe s’il se rappelle quand le titre s’est fait, et il s’avère que c’était en juillet 2017 ; Maynard était présent à L.A. à ce moment-là, et il est passé chez Billy pour chanter dessus.]

C'était donc l’une des dernières, tout comme "The Contrarian", parce que toutes les deux n'étaient que des bribes d'idées. Maynard s’est dit que cela pouvait lui parler, mais il ne savait pas encore exactement quoi ; j’en ai donc tiré des chansons, et après cela il a écrit des paroles pour les deux très rapidement d’après ce que j'avais assemblé.

J’imagine qu'il y a beaucoup d'échanges entre toi et Maynard avant de finaliser les chansons. Discutez-vous du contenu des textes, ou réagis-tu principalement aux mélodies vocales ?
Non, nous n'en parlons pas. S'il m’explique quelque chose, j'écoute, mais je ne m'en mêle pas trop. C’est lui qui s’occupe des paroles et des mélodies. Parfois, les mélodies sont influencées par la musique, mais très souvent Maynard trouve de lui-même.

L’ensemble est très cinématographique, avec des parties orchestrales et des ambiances. La piste "DLB" semble même directement tirée d’une bande originale de film. Est-ce que cela provient de ce que tu as accompli pour le film D-Love ?
Ouais, ça a énormément déteint, le fait de travailler de cette façon avec ces couleurs, avec des instruments inhabituels, avec des timbales, des cors, des cordes et d’autres choses. Travailler sur cette BO a beaucoup joué sur tout cet album et la façon dont nous l’avons abordé, y compris le fait d’engager Dave. Demander de l'aide extérieure, je pense que cela vient aussi d’avoir travaillé sur cette BO.

Cela a été par la même occasion ton premier rôle dans un film. Comment était cette nouvelle expérience ?
C'était amusant, vraiment amusant, mais être acteur est quelque chose de bref : tu arrives, tu sors ton texte, et tu repars aussi vite. En ce qui concerne la composition, cela demande par contre des mois et des mois, ainsi que pour choisir de la musique. J'étais superviseur musical, donc il me fallait trouver des chansons à insérer - laquelle passe à la radio, laquelle est jouée en arrière-plan -, et cela demande là encore beaucoup de temps.

Pour revenir à Eat the Elephant, cela me fait penser à une bande-son sur l'état actuel du monde, avec un mélange d’affliction et d’espoir, mais aussi le sentiment qu’il est urgent d’agir au lieu de toujours parler. Est-ce que tu es d’accord avec ce constat ?
Que je sois d'accord ou non, cela n'a pas d'importance, tu sais. C’est ouvert à l'interprétation de ce que chacun peut ressentir. L'esprit de Maynard est beaucoup plus verbal, alors que mes contributions sont plus une réaction directe de ce que je ressens et de la façon dont cela transparaît dans la musique. C’est parfois complémentaire ; pour dire cela autrement, si je ne me sens pas bien, la chanson s’en ressentira. J'ai juste besoin d'une échappatoire. Par exemple, je ne suis pas sûr que "So long, and thanks for all the Fish" exprime vraiment de la joie, c'est plus une question de réaction.

Je pensais juste que la musique pouvait changer à partir des paroles.
Pas tant que ça. La musique vient en premier, et généralement Maynard réagit à la musique.

Et il réagit très bien.
Ouais. [rires]

Donc vous n'avez rien changé du tout après ça ?
Il y a la dernière chanson, "Get the Lead out", qui est de Maynard d’après quelque chose de différent que j'avais composé. Je venais d'écrire un petit bout de musique, genre la semaine d’avant. J’ai coupé et déplacé quelques éléments, j'ai présenté cela à nouveau à Maynard, et cela lui a convenu. Ce titre est très différent, plus issu du chant ; j'ai réajusté toute la musique par rapport à lui. Mais c’est la seule fois où j’ai eu à faire ça.

D'abord, A Perfect Circle était présenté comme plus émotionnel, avec un côté féminin. Ensuite, il y a eu un virage avec une forte connotation politique. Quel est ton avis sur cette évolution, et le fait que le groupe reste aujourd'hui tellement engagé ?
Oui, je peux entendre ce que Maynard apporte aux albums, c'est sûr. [pause] Encore une fois, quand je réagis émotionnellement, je suppose que c’est son cas à lui aussi, et c'est ce que nous faisons inévitablement en tant qu'artistes : nous réagissons au monde qui nous entoure, que ce soit irrationnellement, rationnellement ou je ne sais quoi. C'est un peu la beauté ou l'avantage d'être un artiste ; il n'est pas toujours nécessaire d'établir une connexion exacte avec quelque chose. Mais cela peut parfois transparaître.

Je comprends bien que c'est plus le truc de Maynard.
Oui, c'est plus difficile pour moi d'en parler. Je le vois de la même façon que toi, je le découvre une fois que c’est fait.

Je pensais juste qu'il y avait plus d'échanges à ce sujet.
Pas vraiment. Il me le présente, et parfois il m'envoie les paroles avant même que j'entende ce que donnent les mélodies. Je pense qu'il essaye juste de me garder impliqué vis-à-vis de la direction que cela prend. Si je suis sur le point de changer la tournure d'une chanson, si j'en entends une d'une certaine manière, cela peut m'aider à en définir les couleurs. Mais comme je te l’ai dit, ce n’est vraiment arrivé qu’une fois de changer de direction sur un titre.

Parlons à présent un peu de l’aspect visuel si tu le veux bien. C'est là aussi assez surprenant, comme cette vidéo pour "The Doomed" avec chacun d'entre vous faisant face au spectateur.
Nous voulions d’abord prendre quelques années avant de nous dévoiler au monde. Il fallait que nous vieillissions. [rires]

Est-ce l'idée de quelqu'un d'autre ?
Non, elle est de nous. Tout avec cet album tourne autour de l'idée de grandir, peut-être aussi de prendre des décisions qui ne sont pas confortables, des choses qui ne sont pas toujours faciles pour nous, tu vois. Le fait que je veuille engager un autre producteur, c'était une décision qui n’était pas évidente pour moi, comme le fait d’accepter de nous montrer.
La vidéo pour "The Doomed" n’a pas été spécialement agréable à faire. Elle paraît simple, mais elle demandait d’arriver à regarder un objectif pendant 30 min, dans une pièce vide et silencieuse.

Est-ce Tim Cadiente qui l’a réalisée ?
Non, c'est Travis Shinn [collaborateur de Tool à qui l’on doit notamment de superbes photos à l’époque de 10,000 Days]. Et il a en gros dirigé les différentes émotions qu'il voulait voir ressortir. Il avait un schéma directeur. Je pense que le résultat est beau et simple, mais qu’il évoque malgré tout la chanson qui est très lourde de sens.

Et qui a fait l'artwork ?
Le concept était de Maynard, et il a travaillé pour ça avec un artiste visuel. Je me suis simplement présenté pour qu’on me prenne en photo. C’est vraiment lui qui a pris en charge la direction artistique.

         

C’est très différent de ce qui il y a eu auparavant, comme par exemple pour Mer de Noms.
Je supervisais un peu plus les visuels à l’époque.

Avec ce titre en français ! D’ailleurs, est-ce vraiment en France que tu as rencontré Maynard ?
Eh bien, nous nous sommes rencontrés aux Etats-Unis, mais nous sommes devenus proches ici, oui. Mais ce titre ne vient pas de là ; cela vient vraiment du moment où il préparait les chansons pour cet album. C'était tellement personnel, et je pense que nous avons tous les deux opté d'une façon ou d'une autre pour "mer de noms". En réalité, pas tout à fait... Mon meilleur ami avec qui j'ai grandi étudiait la littérature française, c'était son monde à lui. Il a étudié la poésie française à différentes époques à travers les siècles, et il m'a aidé. Il a dit que ce n’est pas quelque chose que l’on dit tous les jours mais, comme tu le sais, cela peut avoir deux significations ; si tu le dis rapidement, cela signifie autre chose et c'est un peu amusant : "Merde, non." [rires] Nous essayons toujours de trouver différents angles d’approche.

A ce moment-là, aux débuts du groupe, quand as-tu réalisé le changement qui s’opérait avec le succès énorme qui est soudain arrivé ?
C'était si rapide... tout s'est passé si incroyablement vite. Quand l’album [Mer de Noms] était en train d'être mixé, nous avions des maisons de disques qui venaient pour essayer de nous faire signer un contrat. Donc c'était excitant et rapide. Et puis, une fois cela fait, nous avons tout de suite enchaîné avec la presse et les séances photos, puis nous nous sommes préparés pour la tournée. Nous avons commencé à jouer en première partie de Nine Inch Nails, en mars [2000] il me semble, puis l’album est sorti en mai, donc il n’y a eu qu’un mois d’écart. Cela s'est passé tellement vite qu'il était difficile de capter tout ce qui était en train d’arriver.
Le jour où l’album est sorti, cela a été un grand jour pour nous, parce qu’il me semble qu'il s’en est vendu 100.000 exemplaires le premier jour et quasiment 200.000 au cours de la première semaine. Nous sommes tombés de haut, et tout le monde a fêté ça. Donc la première fois que nous avons vraiment réalisé ce qui arrivait, c'était je pense lors cette première semaine de ventes.

Et avant de te retrouver ainsi sur le devant de la scène, tu as travaillé en coulisses avec des groupes célèbres tels que Faith No More, Nine Inch Nails et Tool ; comment était-ce ?
C'était très agréable. J'aime tous les groupes pour lesquels j'ai travaillé. Ils ont toujours été respectés et/ou eu du succès, alors j'ai eu de la chance de me retrouver parmi eux.

Tu as dû beaucoup apprendre avec eux.
Oui, beaucoup sur les choses à faire et sur les choses à ne pas faire. Et je pense que c'est l'une des choses qui m'a permis d'éviter certains des pièges dans lesquels tellement de groupes tombent. J’apprécie Trent [Reznor] plus particulièrement ; il est incroyablement talentueux, et il a une éthique de travail. Une chose que j'ai comprise, c'est qu'il attend de la part des gens qui travaillent pour lui autant que ce que lui donnerait. Et il donne beaucoup. Je l’admire à bien des égards, et pour la façon dont il mène ses projets.

Nous allons bientôt pouvoir vous voir à l'Olympia qui se trouve juste à côté d’ici, et la veille il y a justement Nine Inch Nails qui y joue.
Oh oui, je viens d'apprendre ça hier ! Par contre, je n'ai pas compris la signification historique de l'Olympia. Quelqu'un m'a dit à quel point ce lieu était extra. Je ne pense pas y être déjà allé avant.

Même pas avec les groupes pour lesquels tu as travaillé ?
Je ne pense pas, je ne me souviens pas, non.

[Je lui parle un peu de la salle.]

Et nous aurons donc peut-être droit à une surprise ?
Peut-être... Non, franchement, je ne sais pas. La surprise sera sans doute pour nous ; ils vont probablement laisser quelque chose de très sale dans le vestiaire, ou autre chose pour nous. Peut-être qu'ils ne vont pas tirer la chasse d'eau, un truc comme ça.

Pour finir, tu voulais une chanteuse pour A Perfect Circle avant Maynard ; est-ce un projet que tu as toujours ?
C’est quelque chose que je continue d’envisager ; je me demande ce que ce serait de m’associer à une autre voix. Oui, j'ai toujours un œil qui regarde dans cette direction.

Peut-être avec Ashes Divide ?
C'est un peu à cela que je pense, oui. J'essaie juste de trouver la bonne personne.

Donc, il y a encore quelque chose à venir pour Ashes Divide ?
Ouais, ouais. Dix ans après, il est temps.

Ok... Merci, Billy. Un dernier mot pour les fans français ?
Merci à toi. [en français] Je ne sais pas, mais il fait froid.

[Ce n’est pas à cela que je pensais en fait comme conclusion, mais ça ira.]


Un grand merci à Replica Promotion et BMG France !

             



APC

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